Poème
Poème
Je vous propose aujourd’hui un poème écrit dans la tranchée en février 1917.
Celui-ci, publié par les éditions Crès, est de Marc Leclerc, soldat au 71e territorial.
Souvenirs de tranchées
Quand les Boch’, de leur coûté
N’paraiss’nt pas trop excités,
I mont’de tout’ la tranchée
Comme eune espèc’ de gratt’ment :
On entend des grignott’ments,
Des grinc’ments d’lime ébréchée…
On dirait qu’l’armée des rats,
Saoûl’ de biscuit et d’cuir gras,
S’rait à roucher d’la ferraille…
… Dans les escaliers d’abris,
Ou dans n’ein coin accroupis,
C’est les Poilus qui travaillent !
Y en a qui mont’nt des crayons,
Des canifs, des tir’boutons,
Avec des douill’ et des balles ;
Armés d’ein poinçon cassé
Qu’il faut sans cesse r’passer,
Y en a qui grav’nt des timbales ;
Y en a d’autr’ ben appliqués
A fabriquer des briquets
Dans des cartouch’ éclairantes…
- Je n’ parl’ pas des artilleurs
Qui transform’nt en vas’ à fleurs
Des douill’ d’obus tout’ brillantes –
Mais les pûs malins font choix,
Pour fair’ des bagu’ et des croix,
D’l’aluminium de fusées…
Is n’ont queuqu’ foés ben du mal,
Car pour travailler c’métal,
La besogn’ n’est point aisée :
Faut, avant meim’ d’êtr’ fondu,
Qu’i séy’ d’abord descendu
Sous la forme d’eun’ « marmite »…
Aussitôt qu’î n’est rendu
- Et ben qu’ça séy’ défendu –
D’tous coûtés on s’précipite
Pour tâcher de l’dépiquer…
Si y en a d’quoé fabriquer
Vingt bag’, ou eune tabaquière,
Quand on craignait d’en manquer
Ça vaut ben d’avoer risqué
De s’fair’ casser la caf’tière !
Des les escaliers d’abris
Ou dans n’ein coin accroupis,
Les Poilus, la têt’ penchée
Chacun sûs son p’tit étau,
A coups d’lime et d’vieux couteaux,
Font des « souv’nirs de Tranchées ».
Faut les voer, quand is les font,
Ces pauvers « bijoux du Front »,
Pour savoer c’qu’i n’y tient d’choses ;
Et, quand îs n’y grav’nt ein cœur
Au milieu d’ein bouquet d’fleurs,
C’cœur-là n’s’y trouv’ pas sans cause…
Ben sûr, ces pauv’brimborions,
A les voer sans émotion,
Ça n’apraît pas des marveilles ;
Mais, quand on les a compris,
On peut dir’ qu’îs sont sans prix
Et d’eun’ valeur sans pareille :
Y a pûs rich’ chez l’bijoutier,
Et des ouverriers d’méquier
S’raient sûr’ment ben pus habiles …
Mais parsonn’ pourrait rach’ter
Tout’ la pein’ qu’îs n’ont coûté
Pour cent francs ni meim’ pour mille !
Dans les escaliers d’abris,
Ou dans n’ein coin accroupis,
Les Pauvres Poilus travaillent…
… Alors, moé, pour fair’ comme eux,
Et n’sachant ren fair’ de mieux,
J’ai fabriqué des rimailles ;
Et, point riche en matériaux,
Comme eux sûs leûs affutiaux,
Avec eun’ pointe écachée,
C’est leû cœur, leû si Grand Cœur
Qu’j’ai gravé, parmi queuqu’ fleurs,
Dans ces « Souvenirs de Tranchées » !